Le loup de Gojbulja
La porte en bois, usée par le temps est entrouverte.
Le lieutenant Rizzi, qui commande la section P2, jette un coup d'oeil
à l'intérieur pour vérifier si tout est normal.
Son pilote attend dans le vhécule tatcique, qui leur a permis
de franchir le passage à gué pour arriver dans l'enclave.
En poste depuis deux jours, cette section de l'Escadron
d'Eclairage et d'Investigation (EEI) protège les enclaves serbes
comme celle de Gojbulja à quelques kilomètres de Vushtrii.
Derrière la porte, une voie lourde fait comprendre au soldat
d'entrer avec deux trois mots baragouinés en Français.
" Le commandant de la section en poste ici avant moi m'a dit
que l'un des serbes vivants dans cette enclave parle un peu Français.
Je viens donc voir ce qu'il en est et puis aussi me présenter"
explique le lieutenant avant d'entrer dans l'enceinte de la maison.
Derrière
la porte, une bâtisse, bien entretenue est entourée d'une
immense haie en bois qui commence à s'affaisser. Au fond de
la cour, au milieu du jardin, le propriétaire des lieux finit
de bêcher un rang de terre humidifié par une averse de
fin de journée. Le lieutenant Rizzi est invité à
s'asseoir à la table donnant sur le jardin, en attendant l'homme
qui vient d’entrer dans sa maison. Quelques minutes plus tard,
t-shirt, jogging et sandales au pied, l'homme, d'une cinquantaine
d'année vient le rejoindre. Accompagné du bouteille
de Slibo, alcool local à la prune, préparé par
ses soins pour l'occasion. Aucun mot, ni serbe, ni français,
ne sort de sa bouche avant que les verres ne soient remplis et une
gorgée bue.
"Donc vous êtes le nouveau capitaine
du poste de garde", commence l'homme alors que le lieutenant
n'a pas encore fini d'apprécier la gorgée. "Moi,
je m'appelle Mikaelovic Voutchenic mais tout le monde m'appelle "Voutch"
à Gojbuja. Ca veux dire le loup, en Serbe" dans un français
saccadé mais tout à fait compréhensible. Les
présentations faites, le verre de Slibo fini et rerempli, le
lieutenant entame la discussion. En quelques minutes, Vutch explique
la situation. "J'ai toujours vécu dans ce village. Cette
maison était celle de mes parents. Maintenant c'est la mienne
et celle de mes enfants" explique le serbe, en regardant les
ruines alentours, laissées à l'abandon par ces amis
qui n'ont pu résister à l'envie de retourner en Serbie
et avoir "une vie normale". Voutch habite avec sa femme
et sa fille de 17 ans et n'a aucune envie de partir d'ici. Plus qu'un
attachement. Pour lui, c'est une histoire de fierté.
Au mois de mars, cette enclave a été
attaquée peu après les affrontements de Mitrovica. Vutch
explique qu'il était là lorsque les Albanais ont commencé
à tirer sur les maisons. De peur que le lieutenant ne le croie
pas, il l'emmène constater les impacts de balles sur les murs
de sa chambre. "J'étais dans mon jardin quand les terroriste
ont tiré de là-bas sur ma maison" en montrant du
doigt la colline boisée dominant le petit village côté
sud. Le lieutenant lui demande s'il avait répliqué mais
Vutch ne comprend bizarrement pas cette question. "Je ne sais
pas, je comprends pas".
Pour les soldats, la principale mission est de protéger
ces points "chaud", mais ils craignent les règlements
de compte entre Serbes et Albanais. Une troisième Slibo entamée,
Vutch commence à parler des Albanais et de ce qu'il lui font
endurer. "Tous les jours quelques chose est volé ou détruit
dans ma propriété. Hier mon tracteur a été
trafiqué et mes poulaillers visités par les Albanais"
lance Voutch sans qu'aucun indice ne puisse lui faire dire, avec certitude,
qu'un albanais soit venu près de sa maison hier soir.
Lorsque le lieutenant lui demande comme il voit
les soldats français, Vutch, grand sourire aux lèvres,
lui explique que depuis la riposte des français lors de l'attaque
du mois de mars, ils seront toujours les bienvenus. Mais il a peur
du jour où les français partiront. Poings serrés,
regard dans le vide Vutch explique que lorsque les Albanais reviendront
tout se finira dans le cimetière. "Nous nous sommes préparés.
Nous ne céderons pas aux terroristes Albanais. Tout est prévu.
Ma tombe est déjà prête, mon nom déjà
écrit. Il ne reste plus qu’à graver ma date de
décès". Des mots lourds qui mettent en excerge
cette haine viscérale entre les deux ethnies.
Bertrand Riotord