Si beau et pourtant si froid
: le Kosovo
Les Albanais constituent du fait de l’histoire, des enjeux territoriaux,
un peuple éclaté en Albanie, ex-république yougoslave
de Macédoine, Monténégro et Kosovo. Dès
1918, les difficultés d’intégration des albanais
du Kosovo (KOA) apparaissent à cause d’une différence
confessionnelle et linguistique. Les serbes se sont continuellement
opposés à leur statut de minorité, revendiquant
celui de république plutôt que de province qui leur aurait
conféré le droit d’autodétermination.
Après son intégration dans la fédération
yougoslave, en 1974, la province devient autonome et dispose du droit
de veto sur les décisions de la fédération. Mais
elle demeure une des régions les plus pauvres de la Yougoslavie.
La suppression de l’autonomie en 1989 et le statut discriminatoire
mis en place à l’encontre des albanais dans la province
déclenchent la crise du Kosovo où s’opposent revendications
historiques et nationalistes des peuples serbes et albanais sur la province.
Six ans après l’intervention de l’OTAN contre les
forces serbes et la démilitarisation de l’UCK, le Kosovo
est loin d'être le paradis promis. La situation économique
désastreuse, avec 70 % de chômage, et le rôle de
plaque tournante pour les trafics en tous genres en font une province
peu à peu épurée de ses nombreuses minorités.
Depuis sa mise sous tutelle, serbes, roms, croates et turcs ont été
expulsés par des extrémistes de la communauté albanaise,
lorsqu’ils ne furent pas assassinés. Environ 150 églises
et monastères orthodoxes, certains bâtis il y a plus de
sept siècles, ont été détruits.
Les habitants serbes ou roms qui vivent dans le nord ont dû se
replier dans des enclaves protégées par les troupes de
la BMN NE / Kfor, et leur liberté de mouvement est strictement
limitée par la présence de villages albanais. Golbulja,
Priluzje, Svinjare : autant d’enclaves au sud de l’Ibar
qui permettent aux habitants non-albanais de survivre. Gardées
nuit et jour par des troupes de la Kfor, elles sont le symbole de la
scission entre les deux ethnies. La communauté internationale,
sous le couvert de la MINUK ainsi que diverses ONG, ont reconstruit
la plupart des habitations détruites lors des violences en mars
2004. A Svinjare, des KOA originaires de Vushtrri et Mitrovica sud avaient
alors envahi le village pour le brûler. L’été
dernier, une entreprise albanaise s’est attelée à
leur reconstruction. Mais le résultat reste pourtant misérable,
sans compter la contrefaçon. Tanic, 80 ans, est revenu sur ses
terres hier. Les ruines de sa maison natale jonchent le jardin. Deux
mètres plus loin, son nouvel habitat se dresse fièrement,
et s’oppose au confort intérieur : les quatre salles jouissent,
pour tout meuble, d’un pauvre lit en fer. Le placard, quant à
lui, a pour seules provisions une bouteille de vodka, du coca et la
slibo locale… Tanic erre dans les salles vides.
La province est plongée dans la compromission entre la mafia
albanaise et les groupes extrémistes, qui sont toujours armés.
L'économie du Kosovo est pratiquement inexistante. Il y a encore
des coupures de courant, plusieurs heures par jour et dans les deux
communautés et les pièces de rechange disparaissent.
En quelques dizaines de mètres, notre vision n’est plus
la même. La grande maison d’un riche albanais, qui se ferait
beaucoup d’argent en vendant des cigarettes dans le meilleur des
cas, de l'héroïne, des femmes ou des garçons dans
les pires des cas, laisse place à un tas de ruines, à
des maisons aux toits défoncés, à des décharges
au milieu d’un point d’eau.
Le statut définitif du Kosovo pourrait être examiné
le mois prochain. Demain ou plus tard, les forces armées en présence
s’effaceront, au profit de la police du Kosovo, déjà
sur place. Les serbes du Kosovo redoutent cet instant. Même s’il
existe des lieux comme « Montmartre », au nord de Mitrovica,
où la mixité s’effectue sans heurt, ils craignent
d’entrer à nouveau en conflit. Nombreux sont ceux qui croient
qu’une autre guerre aura lieu. Ils ne provoquent pas. Ils attendent.
« Il est affreux de voir revenir avec des couleurs d'avenir tout
ce qu'on détestait dans le passé », écrivait
Jean Rostand. Cette idée me donne un goût amer à
la vue de cette province, aux allures des vieilles campagnes françaises.
Sophie Cavalier
Crédit photo sophie cavalier : Mitrovica vue de « Montmartre
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