L’enclave du petit paradis,
14 mai 2005
Avec 3 500 habitants, Priluzje constitue la plus grande des huit enclaves
serbes de l’Area of Responsability (AOR) de la Brigade Multinationale
Nord-Est de la Kfor. Abandonnée en 1999, reconstruite, et peu
à peu reintégrée par ses propriétaires,
elle est sécurisée depuis par les forces marocaines.
Le chômage touche fortement la population. Sa mise en quarantaine
n’arrange rien. Les hommes, femmes et enfants qui y vivent sont
pourtant libres d’en sortir. Seuls les kosovars d’origine
albanaise (KOA) en sont bannis. Leurs villages cernent ces lopins de
terre guère cultivables, les enclavent.
En sortir reste possible, à leurs risques et périls. Sonja
vit dans ce camp avec ses quatre enfants et son mari. Lundi dernier,
la famille a rendu visite à des amis d’une autre enclave,
à Golbulja. Sur la route, leur voiture fut la cible de jeunes
albanais. Cible de cailloux, mais aussi d’injures. Des projectiles
tant qu’il y en a, blessant l’âme plus qu’une
carcasse automobile.
Le phénomène est fréquent. Sorti des grands axes
de la région, la sécurité n’est plus de mise.
« Nous prenons pourtant les précautions nécessaires
», soupire Sonja dans sa langue natale. La plaque d’immatriculation
a été changée le mois dernier. L’inscription
KM chère aux kosovars d’origine serbe a laissé place
au KS de rigueur, du nom de la province.
Mais les habitants des deux ethnies se reconnaissent. Même s’ils
ne se connaissent pas. « Cela ne suffit pas. Les routes ne sont
pas sûres. » Du moins, pas toutes : seuls quelques animaux
peuvent garantir leur sécurité. « Le poisson et
le taureau, lâche t-elle. Mais aussi la poule, le rat et le chat,
si je m’en souviens bien. » L’explication ne tient
pas à la dose de Slibo, partagé en toutes occasions. L’alcool
local n’y est pour rien. Pas plus que la misère qui siège
sous les toits. Les axes principaux ont en effet été rebaptisés
par l’UNMIK par des noms d’animaux. Les axes bestiaux du
Kosovo…
A Priluzje, chaque foyer reçoit une allocation de 30 à
35 euros par mois. Une aide misérable, pour subvenir aux besoins
de deux à quinze kosovars. Une aide qui ne leur suffit pas. Ils
tentent de récolter des produits du « terroir ».
Pour le chauffage, une parcelle de bois leur est attribuée. Une
parcelle pillée puis dévastée par les albanais.
La dernière solution reste l’achat : à 25 euros
la stère, l’hiver prochain parait déjà froid.
Quant à l’électricité, officiellement rétablie
depuis six jours, l’enclave n’y a accès qu’en
partie dans la journée. Chaque quartier a son horaire. Pour le
reste du temps, le mari de Sonja effectue un branchement illégal
entre deux villages albanais.
Sonja sourit pourtant. Son visage s’illumine le temps de quelques
secondes. Elle parle de son fils, de ses trois filles. Jelena, dont
elle est particulièrement fière, fait des études
pour devenir dentiste, dans le nord de Mitrovica.
Puis son sourire s’efface. Sa fille Irana, tout juste 16 ans,
doit être hospitalisée la semaine prochaine sur Plana,
un camp français. Son cancer du sein gauche s’étend
dans la poitrine.
Sonja reprend ses esprits. Elle a prévu de passer au Mari Raj,
le restaurant de l’enclave. Mari Raj, qui signifie « Petit
Paradis ».
Sophie Cavalier
Crédit photo. Les enfants de Sonja sortent de l’enclave
dans une P4 du Bat Maroc (Sophie Cavalier)